L’Affaire Dieudonné : une flèche au coeur de notre démocratie.

La France va mal. Très mal. Alors qu’elle doit faire face à un contexte économique difficile, résorber une courbe de chômage grandissante, restaurer la compétitivité des entreprises, générer de la croissance, augmenter le pouvoir d’achat, créer des emplois, endiguer les déficits publics, réformer la fiscalité, favoriser et aider l’entreprenariat, la France, par la voix de sa sphère médiatique, a décidé de faire de Dieudonné le sujet d’actualité.

Seulement trois mois après que le Mariage pour Tous soit également devenu le sujet central. Nous avons visiblement le sens des priorités dans ce pays…

Mais revenons-en au cas Dieudonné, fort intéressant sur plusieurs points.

Comme je suis un citoyen comme tout le monde et que je me nourris comme tout le monde de ce que l’on me sert quotidiennement dans les journaux et à la télévision, je vais donc tâcher de brosser un tableau tel qu’il nous l’est présenté.

Haro sur Dieudonné donc. Pseudo-humoriste abject, chantre de l’antisémitisme et de l’appel à la haine, théoricien de la peur et de l’intolérance, partisan des causes fascisantes et ambassadeur de la quenelle, modèle gestuel érigé en hommage au nazisme. Sans oublier ses amendes records non payées et ses passages dans nos tribunaux pour ces motifs. Ses adversaires : tous sauf ses fans. De là à lui clouer le bec une bonne fois pour toute, il n’y a qu’un pas que le ministre de l’Intérieur Manuel Valls n’a pas hésité à franchir : l’interdiction de spectacle.

Jusqu’ici je pense que j’ai tout bon. Du moins je ne choque personne bien au contraire j’entre fièrement dans le rang.

Le rang. C’est peut-être cela le problème. Le rang. La France du rang. La France où il est bon de penser comme l’on doit penser. Penser correctement, penser selon la norme, penser pour faire bien selon une ligne de conduite bien établie. Une ligne respectueuse de ce que l’on appelle morale publique et morale médiatique.

Qu’est-ce que morale publique et morale médiatique ?

La morale publique implique que nous soyons en accord avec des préceptes acceptables et respectueux de valeurs fortes qui constituent nos fondements, incarnés en tout premier lieu par notre classe politique exemplaire. Pas de discrimination, pas de racisme et antisémitisme, pas d’appel à la haine, égalité pour tous, transparence fiscale, comportements exemplaires, pas de positions alambiquées, pas de communautarismes, et un engagement citoyen de tous les instants.

La morale médiatique quant à elle, c’est l’aptitude à être diffusable, à occuper l’espace dans le respect des mêmes critères avec possibilité de temps en temps d’être original ou éventuellement agitateur à condition de ne pas trop franchir la ligne. Et surtout de servir la ligne éditoriale. La Liberté d’Expression selon la presse.

Morale publique et médiatique ne roulent pas l’une sans l’autre. Et la seconde supplante forcément la première puisque sans la seconde, la première reste muette.

C’est à ce moment là que l’on réalise où se concentre le pouvoir…

Etant donné que la morale suppose des règles et impose son respect dans l’intérêt public il convient donc de ne pas s’en écarter et de faire confiance à leur garante, notre classe politique, et à leurs porte-paroles, les médias.

C’est donc au nom de cette même morale que nous confions en tant que citoyens et par le biais du suffrage universel un mandat à ces éclaireurs censés nous guider dans la voie de la prospérité, de la vertu et de l’équité. Ces mêmes personnes qui s’enhardissent de promesses électorales en tout genre, nous vendent l’intérêt général comme on vend des lessives, s’interpellent à qui le mieux au nom du clivage politique, se fendent de déclarations grandiloquentes et vertueuses, se cooptent à outrance, s’adonnent à la préservation des privilèges politiques, cumulent les mandats, et écument les tribunaux au nom de la transparence.

Ce qui explique qu’il soit nécessaire de détourner parfois l’attention en organisant un focus médiatique sur des sujets parallèles et bien souvent secondaires. Ce qui explique que le Mariage pour Tous ait tant occupé l’espace à un moment où le gouvernement était à la dérive. Ce qui explique que Dieudonné fasse de l’ombre à Serge Dassault, gangster de Corbeil et sauvé par ses pairs du Sénat (à quel prix.. ?), ce qui explique que la taxe de 75% aussi inique soit-elle et modèle absolu de démagogie politique puisse être réduite à la portion congrue dans l’opinion publique, ce qui explique le silence sur la réforme fiscale que nous attendons toujours depuis 50 ans au profit d’un système totalement dépassé et obsolète. Pour ne parler que de cela…

Dieudonné donc.

Que l’on aime ou non Dieudonné là n’est pas le problème. Il s’agit surtout d’une démonstration de l’impuissance totale de la morale publique, et donc de la classe politique, à évoluer et plutôt de sa capacité à régresser, et de la démonstration de l’omnipotence des médias, pourfendeurs et relais cyniques aux méthodes inquisitoriales, n’hésitant pas au nom du « droit à l’information » à coller des étiquettes et stigmatiser sans autre forme de procès. Il est loin le temps de l’objectivité comme pierre angulaire du journalisme…

Dieudonné est un humoriste. Au titre d’humoriste, il a donc sa part d’audience et a la possibilité dans notre pays de s’exprimer librement en vertu des articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 :

Dieudonné est un humoriste. Au titre d’humoriste, il a donc sa part d’audience et a la possibilité dans notre pays de s’exprimer librement en vertu des articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Sans rentrer dans le détail, notre pays a vocation à permettre tant aux humoristes qu’aux classes politiques de tout bord, y compris extrêmes, de s’exprimer librement à condition de ne pas créer un trouble à l’ordre public.

C’est ce qui fait notre spécificité et nous différencie des régimes ne permettant pas de telles prérogatives, pourtant fondamentales.

Seulement, en 2014, un ministre a décidé que Dieudonné constituerait, par la voix de ses spectacles, un trouble manifeste à l’ordre public.

Pour les raisons exposées en début d’article.

Le problème c’est que ces raisons ne sont le fruit que d’une interprétation personnelle, et influencée par des pressions extérieures parfaitement objectives bien sûr. Ce qui rend la démarche aussi grave qu’illégitime.

Je me rappelle qu’étant enfant j’écoutais des Pierre Desproges ou autre Coluche s’appuyer sur le même type de provocation pour faire fureur. C’était drôle et c’était bon. Mais c’était à une époque où la bien pensance était moins pesante, les médias moins aseptisés qu’aujourd’hui et une époque où on se marrait bien finalement. Que ce soit dans l’expression ou dans les programmes TV, il faut constater que la régression du champ de tolérance médiatique et de liberté d’expression est vertigineuse.

Aujourd’hui on condamne un Dieudonné provocateur et étiqueté antisémite et on continue de nous infliger le néant intellectuel avec le Grand Journal de Canal+, les querelles politiques, les dérapages de Nadine Morano et autres personnalités politiques nous gratifiant d’une intervention haineuse (dont vous noterez l’escalade ces derniers temps), ou encore la nauséabonde Frigide Barjot car il est tellement plus tolérable de crier son homophobie en direct à la télévision ou de permettre à des manifestants anti-Mariage pour Tous de se servir d’enfants pour insulter Christiane Taubira.

En revanche, on ne rigole pas avec la Shoah. On ne rigole pas avec Israël. Sinon, vous devenez une cible et immédiatement étiqueté antisémite. Je vais avoir des problèmes moi…

Très sincèrement j’imagine à quel point les victimes de cette immense tragédie auraient la nausée rien qu’à entendre aujourd’hui la façon avec laquelle les représentants des institutions juives de France s’en prévalent à loisir pour condamner et ordonner et l’instrumentalisent. Or, la Shoah n’est pas un jeu. Mais un drame. Sachez-le.

La quenelle. L’exemple n°1. Geste anti-système propre à Dieudonné depuis plus de 10 ans environ et décrété depuis un mois geste nazi. Par qui ? Une minorité d’intellectuels moralisateurs qui ont décidé d’en faire une évidence. Mais dont l’écho médiatique est tellement assourdissant que le quidam n’a forcément d’autre choix que de suivre. Des médias qui n’hésitent pas par exemple, et ce en toute impunité, de permettre à M. Alain Jacubowicz, président de la LICRA, de décréter les propos suivants : « quenelle, signe de ralliement à Dieudonné, assimilé au salut nazi inversé signifiant la sodomisation des victimes de la Shoah ». Surréaliste. Et tellement choquant. Et le pire là-dedans c’est qu’il balance ça comme s’il disait quelque chose de banal. Mais en même temps personne ne l’a repris… C’est peut-être cela le pire.

Ces pratiques d’un autre temps, qui conduisaient à une époque directement au bûcher,  suffisent à elles seules à transformer Manuel Valls en justicier et à l’ériger en grand cavalier de la morale publique au service d’institutions dont la puissance de lobbying auprès des gouvernements n’a rien de secret…

Ou encore que penser des propos de M. Roger Cukierman, président du CRIF :

«Ça m’inquiète énormément parce que c’est le geste inverse du salut nazi. Il ne faut pas se laisser prendre par le côté humoristique affiché par Dieudonné, qui est devenu un professionnel de l’antisémitisme. Il utilise sa réputation d’humoriste pour fabriquer de l’antisémitisme et le propager».  Idem, voilà l’exemple d’une personne absolument convaincue, aucun doute. Aucun argument, superflu apparemment.

Je ne cite qu’eux parmi d’autres, du même acabit. Même Arno Klarsfeld, grande lumière de ce siècle, n’a pas résisté à la tentation de nous régaler de sa rhétorique éclairée.

Ces pratiques d’un autre temps, qui conduisaient à une époque directement au bûcher,  suffisent à elles seules à transformer Manuel Valls en justicier et à l’ériger en grand cavalier de la morale publique au service d’institutions dont la puissance de lobbying auprès des gouvernements n’a rien de secret : cette croisade a débuté sitôt que le CRIF et la LICRA se sont élevés contre Dieudonné.

Aussitôt dit aussitôt fait, en une journée chrono, l’interdiction de se produire a été prononcée après saisine du tribunal administratif puis du Conseil d’Etat. Record absolu sous la Vè République. Si le gouvernement mettait autant d’entrain à faire pour la France ce que Manuel Valls a fait pour Dieudonné…

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Personnellement, je trouve Dieudonné très drôle. Sans aucun doute le meilleur humoriste actuel. Il met le doigt là où ça fait mal et dérange. Je comprends sa trajectoire et je comprends sa radicalisation. Mais que je ne soutiens pas. Je ne cautionne pas ses passages en Iran, ni ses accointances avec des dictateurs, je ne cautionne pas son délire avec Robert Faurisson, son rapprochement avec Jean-Marie Le Pen ou Alain Soral, son obsession sur les juifs mais en même temps je saisis les raisons de cette démarche. Sa source ? La colère, la souffrance, la frustration, car toutes ces personnes ont un point commun avec lui : la marginalisation. Donc il provoque à outrance et se rapproche des marginalisés. Tout comme il l’a été lorsqu’il s’est engagé dans une voie où il souhaitait faire reconnaître l’Holocauste noir, réalité de l’Histoire de l’Humanité mais tellement négligée. Donc il faut comprendre le contexte. Et surtout face à une certaine forme de hiérarchisation des drames de ce monde et la place centrale occupée par la Shoah et sa capacité à reléguer des drames tout aussi terribles au second rang dans l’inconscient collectif. De même la politique d’Israël, actuelle et passée, jamais condamnée et hautement condamnable, faisant une double victime : les palestiniens et les israéliens eux-mêmes. Il existe un documentaire franco-israélien édifiant et magnifique, The Gate Keepers, mettant en scène d’anciens directeurs du Shin Beth, services de renseignement intérieur israélien, qui pointent les dérives de la politique israélienne et leurs erreurs actuelles et passées. Une belle leçon de remise en question et d’humilité. Je pense que certains feraient mieux de le visionner avant de crier à l’antisémitisme à tort et à travers.

Dieudonné a donc forcément été influencé par son impuissance à dépasser les cadres de pensée fortement suggérés par les médias. Il a donc décidé de faire cavalier seul. Et de frapper plus fort. De provoquer plus fort. De choquer plus fort. Et ça marche. La preuve. Tant les médias que la classe politique tout le monde tombe dans le panneau. On a cessé de réfléchir. On a cessé de s’intéresser. Il est tellement plus simple de condamner.

Malgré ses travers et la virulence de certains propos, et encore une fois même s’il m’agace par moment, je pense sincèrement que Dieudonné n’est pas le moins du monde antisémite. Bien au contraire. Il en joue. Et si les autorités compétentes s’étaient un tant soit peu intéressées à ses spectacles, elles s’apercevraient qu’il s’attaque à toutes les communautés sans exception. Et à juste titre.

Au final c’est un modèle de pensée qu’il dénonce. Et voilà ce qui dérange en réalité. Ce modèle de pensée, c’est celui qui amène la classe politique d’aujourd’hui et d’hier à se fourvoyer et à errer dans les méandres de la médiocrité et le mensonge tout en donnant des grandes leçons, à rompre le lien avec le monde réel c’est-à-dire nous. Mais nous ne sommes plus dupes.

C’est aussi celui qui pousse les médias à se faire l’écho démesuré de l’insignifiant, de porter les lobbies haut et fort, et de participer honteusement à la diabolisation médiatique de celui qui ne ressemble pas à l’autre. Et là je m’adresse à vous les médias : si aujourd’hui des abrutis se permettent de faire bêtement une quenelle devant les synagogues, créant la confusion sur le sens de ce geste qui était encore sans ambiguïté il y a peu, c’est uniquement grâce à vous. Si aujourd’hui l’image et le propos concourent à l’abrutissement des jeunes, c’est grâce à vous. Si aujourd’hui une telle affaire prend de telles proportions, c’est grâce à vous. Si aujourd’hui nous assistons impuissant à l’ébranlement du socle démocratique par une atteinte fondamentale à Liberté d’Expression, c’est grâce à vous. Et si la médiocrité du débat public atteint un tel niveau, c’est encore grâce à vous.

Je ne peux que vous implorer de changer de voie et de penser à nous, à nos attentes, à nos aspirations, à nos envies, d’abord de relever ce pays en se rappelant de ce pour quoi nous nous sommes battus, puis de changer, de réformer, d’avancer.

Cela ne peut plus durer. À tel point qu’il me vient juste l’envie de reprendre la quenelle de Coluche avec pour seul et véritable slogan : pour tous leur foutre au cul. Car  si nous vivons dans le même pays, nous ne sommes décidément pas du même monde.

coluche-quenelle


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