Notre Vision

 

La vision que nous avons de l’automobile ne peut se réduire ou se condenser en quelques mots bien trouvés, et quelle que soit la tentation de ciseler une formule accrocheuse ou d’élaborer une métaphore à l’épreuve de toutes les questions, il faut s’en abstenir par dessus tout.

Tout commence dans une fièvre incommensurable, une accumulation d’énergie s’enflant elle même à une vitesse prodigieuse et alimentée par sa propre accélération. Le point de départ, un accès de folie, une réaction en chaine résultant d’une histoire, d’un instant, d’un lieu, de parfums mêlés, de couleurs et de lumières, de pressions tactiles innombrables ponctuant ce voyage instantané, superpositions de sauts infinitésimaux dans le temps et dans l’espace.

La passion automobile ne vit pas dans l’espace borné que lui alloue le monde. Elle est l’incarnation d’une tension élémentaire, d’une fantaisie dans laquelle l’homme puise ce qu’il a d’unique, d’une préscience de l’extraordinaire. Onfray parle du désir d’être un volcan, Umberto Eco devine la souffrance de n’être qu’un homme qui git en chacun de nous, voilà peut être l’une des racines endémiques qui irrigue notre condition singulière et contradictoire. Nous sommes aux portes de tous les mondes, de toutes les dimensions ; la nature nous a pourvu d’un regard intellectuel et spirituel décuplant l’aire de nos sens, pour nous permettre d’embrasser l’éternité et l’infini. Ce qui nous définit, c’est notre aptitude à concevoir au delà de nous même et de nos limites, de n’exister qu’une fraction d’instant sans laisser échapper l’intuition de l’éternité. Prisonnier d’une incurable petitesse, nous avons été rendu aptes à la contemplation d’ordres de grandeur aberrants et impossibles. Y’a t-il dans ce paradoxe une perfidie, ou le don ultime à l’origine de nos émerveillements et de cette constante incrédulité à laquelle devrait nous ramener le seul fait d’exister ?

L’automobile telle qu’elle s’entend dans l’évocation qui vient, n’est en aucune façon l’objet pratique et malléable auquel nous voulons l’assimiler la plupart du temps. Devenue encombrante, coupable, maladroite et insupportablement nécessaire, elle n’est plus comprise et suscite une hystérie contagieuse que ses contempteurs eux mêmes ne sont point enclins à décrypter. Cependant, et assez étrangement, les éléments déchainés, l’ire populaire et la désapprobation généralisées ne sont pas parvenus à ternir ou atténuer de quelque façon que ce soit la magie qu’exerce l’automobile sur le plus grand nombre. Il n’est pas insensé de se lancer dans une analyse a contrario et de relever précisément comme cette passion est plus tenace aujourd’hui au regard des obstacles qu’elle doit surmonter pour perdurer.

L’exacerbation de la sensibilité écologique artificiellement nourrie par le lobbying médiatique, et la recherche permanente de bouques émissaires, pas plus que l’explosion des cours du pétrole n’ont suffit à faire rendre gorge à cette troublante addiction.

Pourquoi ?

Pourquoi alors qu’il serait si facile de renoncer, pourquoi alors que les industries automobiles sont parmi les moins rentables du mondes, pourquoi alors que la tension sécuritaire et le principe de précaution sont devenus les points culminants dans la sensibilité du public, pourquoi ces drôles d’engins nous volent t-ils ce sursaut de raison qui suffirait à les condamner ?

Pour tenter une réponse, il nous faut déplacer les limites à l’intérieur desquelles naviguent prétendument les considérations mécaniques. Si nous sommes si accrocs à l’automobile, c’est parce qu’elle fait de chacun de nous un pionnier, un aventurier se précipitant vers le couchant embrasé, le cœur palpitant et les tripes retournés par le plaisir. La puissance mécanique nous élève, nous prolonge, démultiplie nos aptitudes naturelles, et nous propulse dans un nouvel univers de possibilités. Mais le plus remarquable, c’est qu’elle fait tout cela en nous cédant le contrôle, en sorte que nous sommes aux premières loges de ce miracle que nous pouvons répéter à l’envi.