Avec La Purosangue tout juste révélée, Ferrari nous confronte à des questions auxquelles nous nous attendions depuis plus de deux décennies : le premier SUV siglé d’un cheval cabré. Chaque fois qu’une marque sportive, à commencer par Porsche, a lancé un Véhicule Utilitaire Sportif (;), les mêmes voix se sont fait entendre pour dénoncer ce qui relevait du crime de lèse-majesté. Pourtant, peu de temps après la sortie du Cayenne en 2003, du Lamborghini Urus, puis de la Bentley Bentayga, ou de Alfa Romeo avec son Stelvio, les oracles ont vite remisé leurs prédictions pour célébrer ce que le destin avait scellé. Pour le dire simplement, toute la presse spécialisée, tous les érudits de la chose automobile ont échoué à anticiper le succès d’un concept dont la Purosangue n’est que la dernière désinence.
”Piece of Juke“ ?
Parlons d’abord de la première rencontre et de l’émotion que produit cette toute première Ferrari toute en jambes. Eh bien, plutôt favorable à vrai dire ; cette PUROSANGUE n’est pas laide, ni indigne, elle est plutôt même dans la veine de ces sœurs. Si l’on aime ces dernières, on retrouvera des marqueurs forts des dernières générations de Berlinettes, des gros bouts de Roma, de Lusso par ici, de 296 GTB par là. On retrouve incontestablement l’identité stylistique dans laquelle Ferrari s’inscrit depuis un moment. Pas de raisons de défaillir. À l’inverse, si la mouvance “Gundam” vous défrise, elle affleure toujours. Au final, la question du style appartient à tous et à personne, et sur ce chapitre, le SUV de Maranello ne trébuche pas mais ne transcende pas le genre. Une seule chose s’impose cependant, c’est cet arrière aux accents de Nissan Juke : cette mention ne vaut pas infamie, loin s’en faut, mais elle paraît criante.
“Pin-up Cars”
Sur un marché et dans un écosystème toujours à l’affût des gossips et où les réputations se défont à la vitesse des nouveaux modèles chassant la mode de la veille, la moindre faiblesse peut devenir une tare définitive. Sa poupe aux saveurs orientales ne sera sans doute pas suffisante pour empêcher la Purosangue de faire son chemin, mais elles seront nombreuses ces sportives XXL à lui faire de l’ombre.
Quand Beyond the speed of Spirit apparaissait il y a plus de dix ans, nous avions l’ambition de renouveler la façon de penser et de dire l’automobile. Nous avions raison sur la dimension organique et spectaculaire qui n’a cessé de s’amplifier depuis lors, au point peut-être de supplanter tout le reste… Mais nous avons eu tort aussi, peut-être pas de façon flagrante mais en nous laissant aller à rejoindre la mêlée des predicants, des doctrinaires… Comme si nous possédions une forme de vérité ou si ces sujets obéissaient à des lois.
Dans le cas de la Puresangue, cela signifierait participer à un débat sans fin sur le bien-fondé d’un tel véhicule et remonter vingt ans en arrière pour rejouer la pièce fameuse du “The Porsche Cayenne: An Unexpected Success Story ».
Concrètement
Alors plutôt que de prétendre à donner un avis sur la PUROSANGUE sans l’avoir touchée, sans l’avoir conduite assez longtemps pour devenir proches, convions les éléments factuels dont nous disposons déjà ; 2033 kgs au mieux, mais sans doute plus proche de 2200 kgs, 725ch, le V12 revu et corrigé de feu l’Enzo, le châssis de la Lusso et une technologie de stabilisation de l’assiette semble-t-il bluffante, tout cela pour 390 000€ à la pesée.
Difficile d’en conclure grand chose sinon une inflation accélérée du prix des voitures de prestige avec la certitude pour elles de trouver acquéreurs quoi qu’il en soit, pour peu que le blason soit à la hauteur des prétentions financières. N’y voyez pas de jugement ou de relent moraliste, mais cette dérive est essentiellement liée à une recrudescence du nombre des clients potentiels dans cette gamme de prix. Les tarifs s’accroissent non plus seulement en proportion des qualités des véhicules mais de la capacité des marques de luxe à les produire tout en préservant leur exclusivité. Le nombre des candidats à une Purosangue à 200K€ dépasse vraisemblablement de loin les capacités de Ferrari à les produire.. La Marque perdrait donc doublement à la tarifer de la sorte.
C’est peut-être cet étrange état de fait qui est le plus intéressant dans l’histoire. Non pas juger mais comprendre les rouages d’un marché qui ne repose pas sur les mêmes valeurs.
Autrefois une Ferrari Daytona ou une 512BB, une Porsche 911 Turbo, une DeTomaso Pantera appliquaient à leurs prétendants une sélection bien plus que financière. Pour accéder à de tels automobiles, il fallait l’argent, l’audace, le pilotage (ou l’humilité) être capable de se moquer du regard des autres, affronter l’inconfort, la rudesse voire la méchanceté de ces voitures. Dans les années 80, je crois que tous, nous voyions plus qu’une voiture lorsque nous croisions une Ferrari ou une Porsche qui étaient alors bien plus rares. Il y avait quelque chose d’épique et d’héroïque dans le fait de posséder et de conduire ces manifestes d’un certain art de vivre.
Des 30000 véhicules que produisaient Porsche, Ferrari et Lamborghini en 1985, la somme cumulée en 2020 dépasse les 200 000… c’est sans compter les autres marques dont le volume a explosé sur ce segment. De l’Audi R8 à la Jaguar Type-F, des dizaines de milliers de voitures aux performances stratosphériques s’ajoutent à ce chiffre.
La Purosangue n’est qu’un prétexte à une question plus fondamentale, la magie est-elle en danger, la fascination pour l’automobile est-elle réellement compatible avec une course courue dans une unique direction ? Plus de puissance, plus de luxe, plus de poids et près de 530€ par cheval dans le cas de la Purosangue nous assurent-ils plus de plaisir ? Je ne le crois pas.
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