Cancel culture, vérité 2.0, les faits à l’agonie face à la conjuration des ignorances.

 

La science, la connaissance et le rapport que nous entretenons avec la vérité ne vivent pas la période la plus propice de notre histoire récente. Le sursaut des fondamentalismes dans toutes les aires de notre société complique encore le dialogue entre les communautés, qu’elles soient scientifiques, spirituelles, ethniques ou sexuelles. La radicalité devenue le maître mot des échanges a évincé la culture du débat et le souci n’est plus tant de chercher la vérité mais de dissuader quiconque de venir questionner nos propres convictions. 

 

Au commencement était la contradiction.

La vérité telle que l’on nous l’a apprise et enseignée est le produit de perspectives et de préoccupations qu’il nous faut confronter les unes aux autres afin qu’elles produisent ensemble quelque chose de nouveau. Théorie, pratique et examen des fins dernières ou du sens ultime de ce que nous examinons, enjeux et exigences particulières de nos modèles de recherche, façonnent des raisonnements eux-mêmes parents de nos oppositions et de nos désaccords. 

Ce galimatia pour parvenir à un constat : nous avons déserté ou abandonné, oublié peut-être le 1er commandement dans la recherche de la vérité : celui qui nous commande de rechercher, priser, et même chérir l’objection. Quoi que ce soit que nous croyons, plus encore si nous y attachons une émotion, est susceptible d’être réfuté, infirmé. 

“La tolérance atteindra un tel niveau que

les gens intelligents seront interdits de penser

pour ne pas offenser les imbéciles.”

Dostoievski

the fine art of Baloney detection, ou le kit de détection des sornettes et balivernes.

Dans son livre “The Demon-Haunted World: Science as a Candle in the Dark.”, Carl Sagan, astrophysicien et philosophe dont la hauteur de vue et la pédagogie ont marqué notre temps, consacrait un chapitre à l’art subtile de la détection des Balivernes. Devenu “Balooney detection kit”, cet appareillage théorique est une sorte de check list exigeante qui énumère les examens et les contraintes auxquelles nous devons soumettre nos propres théories, aussi vraies et souhaitables qu’elles pourraient nous paraître.

Il comprend une liste de sophismes et de préjugés afin de nous aider à détecter et à éviter les arguments fallacieux qu’ils soient basés sur de fausses prémisses, la manipulation émotionnelle, la sélection des preuves, ou la croyance forcenée même quand elle est contredite par des preuves.

“Ce kit de détection des balivernes n’est pas un simple outil scientifique. Il contient plutôt des outils inestimables de scepticisme sain qui s’appliquent tout aussi élégamment, et tout aussi nécessairement, à la vie quotidienne.” Carl Sagan.

Dans la mesure du possible, il doit y avoir une confirmation indépendante des « faits”.

Encouragez un débat de fond sur les preuves par des partisans bien informés de tous les points de vue.

  1. Les arguments d’autorité ont peu de poids – les « autorités » ont commis des erreurs dans le passé. Elles le feront à nouveau à l’avenir. Une meilleure façon de le dire est peut-être qu’en science, il n’y a pas d’autorités ; tout au plus, il y a des experts.

  2. Faites tourner plus d’une hypothèse. S’il y a quelque chose à expliquer, pensez à toutes les façons possibles de l’expliquer. Puis pensez à des tests qui vous permettraient de réfuter systématiquement chacune des alternatives. Ce qui survit, l’hypothèse qui résiste à la réfutation dans cette sélection darwinienne parmi les « multiples hypothèses de travail », a beaucoup plus de chances d’être la bonne réponse que si vous vous étiez contenté de suivre la première idée qui vous a séduit.

  3. Essayez de ne pas trop vous attacher à une hypothèse simplement parce que c’est la vôtre. Ce n’est qu’une étape dans la poursuite de la connaissance. Demandez-vous pourquoi vous aimez cette idée. Comparez-la équitablement avec les autres possibilités. Voyez si vous pouvez trouver des raisons de la rejeter. Si vous ne le faites pas, d’autres le feront.

  4. Quantifiez. Si ce que vous expliquez est assorti d’une certaine mesure, d’une quantité numérique, vous serez bien plus à même de distinguer les hypothèses concurrentes. Ce qui est vague et qualitatif est ouvert à de nombreuses explications. Bien sûr, il y a des vérités à rechercher dans les nombreuses questions qualitatives que nous sommes obligés d’affronter, mais les trouver est plus difficile.

  5. S’il y a une chaîne d’arguments, chaque maillon de la chaîne doit fonctionner (y compris la prémisse) – et pas seulement la plupart d’entre eux.

  6. Le rasoir d’Occam. Cette règle pratique nous incite, lorsque nous sommes confrontés à deux hypothèses qui expliquent aussi bien l’une que l’autre les données, à choisir la plus simple.

  7. Il faut toujours se demander si l’hypothèse peut être, au moins en principe, falsifiée. Les propositions non testables, non falsifiables, ne valent pas grand-chose. Prenons l’exemple de la grande idée selon laquelle notre Univers et tout ce qu’il contient ne sont qu’une particule élémentaire – un électron, par exemple – dans un Cosmos beaucoup plus vaste. Mais si nous ne pouvons jamais acquérir d’informations en dehors de notre Univers, l’idée n’est-elle pas impossible à réfuter ? Il faut pouvoir vérifier les affirmations. Les sceptiques invétérés doivent avoir la possibilité de suivre votre raisonnement, de reproduire vos expériences et de voir s’ils obtiennent le même résultat.
CARL SAGAN art inspired by Baloney Kit. BSS©

D’autres intellectuels contribuent ou ont œuvré à tempérer nos passions et à rechercher la vérité plutôt que de nous attacher à ce qui nous conforte dans nos croyances. Richard Dawkins, biologiste évolutionniste n’a cessé de soutenir l’importance de la science et de la raison critiquant ouvertement la religion en tant qu’un obstacle au progrès scientifique, mais également Stephen Jay Gould paléontologue, biologiste et historien des sciences américain. scientifique parmi  les plus influents et les plus lus de son temps qui a de même significativement influencé les esprits. 

D’autres tels, Noam Chomsky, linguiste, philosophe et activiste, a défendu avec véhémence la liberté d’expression et largement critiqué le gouvernement américain prophétisant son déclin et l’incapacité des pouvoirs à en saisir l’absolu nécessité. 

l’écologie et l’énergie au cœur d’une guerre idéologique

De nombreux intellectuels et environnementalistes refusent le dogme décliniste qui s’est imposé comme la lecture dominante dans le traitement du réchauffement climatique. Michael Shellenberger, notamment, environnementaliste est un auteur américain fondateur d’Environmental Progress, un groupe environnemental pro-nucléaire. En 2004, il a été nommé héros de l’environnement par le Time Magazine puis reçu en 2010 le prestigieux Climate Leadership Award du Climate Reality Project.

La position de M. Shellenberger est que nous devons explorer ce qui est possible en termes de production d’énergie, plutôt que de jeter sans distinction tout ce qui a fonctionné jusqu’à présent au seul motif que ce n’était pas parfait. Il estime que l’énergie nucléaire est une source d’énergie propre, sûre et abordable qui peut contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à lutter contre le changement climatique. Il a également critiqué avec véhémence les sources d’énergie renouvelables comme le solaire et l’éolien, qui, selon lui, ne sont pas aussi fiables ou rentables que l’énergie nucléaire.

Le Meilleur des Mondes. a gigantic, smoking, threatening and disturbing wind turbine. BSS© KEATSLAB

D’autres auteurs partagent la position pro-nucléaire de Shellenberger tels que James Lovelock, Stewart Brand et Mark Lynas. Lovelock est un environnementaliste et un scientifique britannique, surtout connu pour ses travaux sur l’hypothèse Gaia tandis que Brand, écologiste américain est l’auteur et co-fondateur du très fameux Whole Earth Catalog qui a notamment inspiré Steve Jobs dans sa Jeunesse. Lynas est un écologiste et un auteur britannique qui a beaucoup écrit sur le thème du changement climatique.

Les auteurs à s’opposer à ces thèses, sont également très nombreux. Bill McKibben, Naomi Klein et George Monbiot. McKibben est un écologiste et auteur américain, cofondateur de la campagne 350.org sur le changement climatique tandis que Klein est une auteure et une militante sociale canadienne, surtout connue pour ses travaux sur la mondialisation économique. Journaliste britannique, Monbiot critique ouvertement l’énergie nucléaire au regard des risques qu’elle comporte qu’il juge disproportionnés, cela en contradiction avec les données objectives qui relatent l’exploitation de cette énergie. 

Michael Shellenberger

Si toutes ces opinions émanent d’esprits éminents, il convient néanmoins de souligner la fréquente absence chez leur auteur de connaissances approfondies des données scientifiques supportant notamment la sécurité croissante de l’exploitation des réacteurs nucléaires. Les unités de nouvelles génération résolvent à la fois les problèmes de déchets en réutilisant l’essentiel du Plutonium précédemment créé dans le cœur d’autres réacteurs, mais également le risque de fusion du réacteur qui concentre à lui seul la plupart des critiques et des risques inhérents au fonctionnement d’une centrale nucléaire. Le refroidissement du coeur par du métal liquide se traduit par le scellement automatique de l’ensemble des réactions en cours. La centrale devient instantanément inopérante, mais tout risque d’explosion et de dispersions des matériaux réactifs est simultanément éteint.  De nouvelles générations de Centrales dites à ondes progressives, produisant leur propre combustible pourraient démultiplier nos ressources nucléaires en consommant pour fonctionner les déchets nucléaires préexistants. 

Greta Thunberg impersonating impersonating an avenging god of self-righteousness. Inspired by frank frazetta, keith parkinson and greg rutkowski and aleksandra skiba. BSS©

Ces perspectives et l’ensemble des progrès réalisés par la filière sont largement ignorés des intervenants, avec des répercussions importantes sur la compréhension du grand public et un traitement souvent inadéquates des enjeux par les politiques et donneurs d’ordre. 

Shame on us* (Honte sur nous)

Ce problème également répété dans la lecture du progrès social, du traitement des minorités ethniques et des LGBTQ atteste un rapport à la réalité ou ce qui existe doit s’effacer devant une lecture manichéenne et vengeuse. Le progrès n’a plus de sens : ce qui n’est pas encore advenu est la preuve de notre corruption collective, peu importe le chemin parcouru, ce que nous n’avons pas encore accompli mérite la repentance contrite et de renoncer à se défendre. 

Cette culture de l’indignation, outrecuidante, arbitraire et tyrannique, volontiers despotique, amplifiée par le wokisme et ce que l’on appelle la cancel culture rappelle beaucoup le refus forcené des artistes et des intellectuels de questionner le communisme dans les années 60 et 70 et leur mépris pour leur propre société qui bien qu’imparfaite était infiniment plus ouverte et tolérante que le fantasme socialiste dont ils espéraient si fort l’avènement. 

Cet encouragement au mépris de soi est un autre marqueur des temps très modernes. Peu importe les faits, s’ils ont l’audace de nous contredire, c’est un signe qu’ils sont sans doute falsifiés, produits par l’adversaire et donc sans valeur. 

D’où tu parles ?

Un Autre avatar désastreux de cette abdication s’appelle le positionisme : il consiste à se désintéresser de ce que vous dites pour ne retenir que l’endroit d’où vous parler. La vérité est sans poids lorsqu’elle s’épanche d’une bouche qui n’a pas été dûment accréditée. Les considérations d’un penseur, d’un sociologue qui ne serait pas issue de la même communauté, d’une personne de couleur au sujet d’un individu ressortissant d’une autre ethnie, ou d’un groupe présentant des préférences sexuelles différentes, sont de facto disqualifiées. Ces dérives prospèrent sans que l’on s’en émeuve, pis, les médias et les intellectuels, et de façon général tous ceux dont la notoriété pourrait souffrir d’être prise à partie flattent et amplifient ces susceptibilités… Que la traductrice blanche Marieke Lucas Rijneveld traduise l’œuvre de la poétesse noire Amanda Gorman devient crime de lèse majesté, Tom Hanks se sent obligé de regretter rétrospectivement son rôle d’homosexuel dans Philadelphia et va jusqu’à généraliser sa position en jugeant que « cela n’est plus possible à à juste titre ». Le phénomène est d’autant plus inquiétant que l’on ne peut s’empêcher de soupçonner que l’acteur ait voulu anticiper les revendications des portes paroles LGBTQIA+ exhortant de façon tout à fait spécieuse à la représentation des identités sexuelles par des personnes en étant issues. On vous laisse mesurer la folie littérale et les dérives monstrueuses de la généralisation de ce genre de tyrannie de la pensée.

Bienvenue dans l’ère de la WOKE police

Même Matt Damon pourtant champion de cette nouvelle inquisition trébuche et se voit lapidée par les juges indisputés du bien et du mal ; son crime ? confesser avoir utilisé accidentellement quelques mois auparavant le F-Slur word que les médias américains emploient pour désigner « faggot », équivalent de « tapette » ou « tarlouze », tout en se repentant et en renouvelant son soutien à la communauté LGBT… Mais la mise au pilori ne s’arrête pas là, et lorsqu’il se défend de l’utiliser tout en expliquant que le mot était employé à des usages très différent dans sa jeunesse, la référence à son adolescence enflamme la foule hystérique des justiciers anonymes. Affligeant lorsque l’on connait le parcours de Damon et son soutien à toutes les communautés, son implication philanthropique dans de nombreuses associations et œuvres caritatives, et on en passe. En 2015, l’acteur avait été dénoncé pour avoir refusé de céder aux pression des tenants de la discrimination positives et persister dans le souhait « qu’un metteur en scène ne soit choisit que sur la base de son mérite »… No comment.

MATT DAMON In the crosshairs of the WOKE police. BSS©

“Quelqu’un doit me dire pourquoi ce type semble toujours dans le collimateur des Sachem du politiquement correct « , a déclaré Maher au début de son émission. « C’est un phénomène qui me fascine vraiment, que tous les deux ans, Matt Damon, l’un des gars les plus sympathiques d’Hollywood, avec des références libérales (progressistes) impeccables, doive de nouveau se débattre dans les sables mouvants de la Cancel Culture.

BILL MAHER – REAL TIME with BILL MAHER

Mentionnons néanmoins un dénominateur commun avec un adversaire désigné : la société patriarcale blanche, raciste, misogyne dont les commentaires sur quelques sujets que ce soit sont d’insupportables spasmes à abjurer sur le champ. 

Comment a-t-on pu laisser s’épanouir et prospérer une telle violence symbolique comment un tel aveuglement va-t-il précipiter dans l’opinion publique ? Dans un monde dont la complexité croît exponentiellement, requérant mesure et tempérance, travail d’analyse, compréhension des données, difficile de ne pas s’émouvoir du travestissement systématique des faits, du plaquage d’émotions et de frustrations sur la réalité, de l’inventaire des colères et des rancunes devenus des monnaies de dupes dans la fabrication d’une réalité factice.


Commentaires

Une réponse à “Cancel culture, vérité 2.0, les faits à l’agonie face à la conjuration des ignorances.”

  1. […] sur le thème du Baloomsy detector de Carl Sagan, voici un ensemble de principes à adopter pour éviter d’adhérer trop vite à une opinion […]

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