Dans les années 80, une poupe rouge fendue d’un trait noir a bouleversé les imaginaires et marqué l’enfance, l’adolescence, et les phantasmes de beaucoup d’entre nous. La Testarossa née en 1984 imposait ses formes insensées et voluptueuses, deux mètres de large, près de 400 chevaux, et un glamour qui allait imprégner toute la décennie. Incarnation de la surpuissance et de la démesure, elle instillait en toute chose une dimension éminemment sexuelle que je ne réalise qu’aujourd’hui.
Quand la Ferrari Testarossa sort du bois en 1984, personne ne s’attend alors à une révolution stylistique de cette ampleur. Après plus de 15 ans de berlinettes, qu’il s’agisse de la 308, ou de la 512 Berlinetta, ou même de la Dino, les formes de la « Testa » comme on la résume fréquemment sont une énorme surprise pour ne pas dire le signal d’une rupture définitive avec une époque. Il n’existe sans doute pas dans l’histoire de fracture aussi rapide dans l’esthétisme et le design que dans la séquence 1975-1985. Il suffit pour s’en persuader de comparer une Daytona, parachevant les canons sublimes de la Ferrari des années 50,60 et 70 avec la Testarossa échappée d’une faille dans le continuum spatio-temporelle, moderne cubique et infiniment provocante. Son énorme postérieur reste un classique indépassable qui suscite l’admiration comme l’aversion avec une égale intensité, mais il signale aussi une distorsion dans la vitesse à laquelle le monde évolue en faisant émerger un futur exubérant sous des formes qui brutalisent les classiques et ébranlent les conservatismes.
Bien sûr, l’enfant que j’étais n’avait cure de toutes ce lexique boursouflé mais il était précisément saisi d’une stupéfaction authentique devant un objet qui concentrait la possibilité de l’extraordinaire, qui incarnait un rêve. Forme ultime de la liberté, ce monstre rouge n’était que force, beauté et invincibilité… Combien de fois n’ai-je pas rêvé, enfant, de descendre d’une Ferrari Testarossa, persuadé que sa présence sublime et olympienne, que son charisme surnaturel se communiquerait à ma petite personne et inspirerait l’amour transi de toutes les filles qui faisaient secrètement battre mon cœur ?
Aujourd’hui encore, et en dépit de ses performances surannées, de son intérieur écorché, de la graphie de ses compteurs volée à une calculatrice de supermarché, Aujourd’hui encore, sa présence évoque non pas seulement une voiture de sport, plus une GT à vrai dire (Grand-Tourisme), mais une époque, dont la frénésie, l’outrecuidance et les promesses d’un futur sans limites jettent un voile comparativement bien terne sur notre époque neurasthénique, coupable, suintante de rancune et de mal-être.
Oui. La Testarossa est l’ode des années 80 à la démesure, à l’infinie confiance de l’homme en lui-même, quitte à piétiner les platebandes du bon-goût et à s’asseoir avec un costume en lin forcément froissé sur les convenances et la sobriété. Écoutez cela, et vous comprendrez mieux ce que j’essaie de vous dire ou de vous rappeler. Même lorsqu’elle n’était pas là, on la cherchait. Mais, la Testarossa, que voulez-vous, prenez trop de place. Notamment à l’affiche de Miami-Vice, sa seule présence à l’écran siphonnait ma matière grise et m’absorbait dans sa contemplation ravie. La série s’en est-elle seulement remise ?
Oui. La Testarossa est l’ode des années 80 à la démesure, à l’infinie confiance de l’homme en lui-même, quitte à piétiner les platebandes du bon-goût et à s’asseoir … sur les convenances et la sobriété.
Alors quid du sexe ? Concrètement, la période de production de la Testarossa correspond chez moi à la croyance dévote que cette voiture était animée de quelque chose d’implacable auquel nul ne pouvait se soustraire. Un raccourci facile mais délicieux, qu’il serait mal inspiré de ne lire que sous l’angle du pouvoir, de la masculinité et d’un mépris quelconque pour la nature féminine suspecte d’être le jouet de désirs pathétiques… Je nous recommande sur ce sujet de passer moins de temps à feindre la perfection morale pour nous atteler à en honorer les fondations. Cela étant précisé, la Testa, c’était un peu un anneau de pouvoir et je trouvais naturel que chacun y cède. J’avais d’ailleurs rencontré une jeune femme qui en possédait une alors que je n’avais que seize ans, avec pour effet de me la rendre aussi désirable qu’une déesse jouant avec un mortel. Le combo incendiaire avait grillé mon interface et je ressentais pour elle un désir qui n’avait rien de connu, charriant des parfums de peau et de tonnerre mécanique.
Voyez, pas de sexisme, l’objet marchait dans les deux sens, la grosse Ferrari était un exhausteur de goût, un accélérateur de particules dans la matrice en fusion des bouffées adolescentes. Cela, je sais que nous étions nombreux à le partager… Sans doute d’ailleurs, les « nerds », les « geeks » que nous étions étaient-ils plus sensibles encore au charme de l’auto, parce que la plus grande distance qui les séparait du charnel donnait encore davantage de densité et de force à leur imaginaire.
Alors oui, je tente cette proposition un peu folle : la Testarossa a sans doute été pour nombre de mes camarades et pairs d’alors, une sorte de prothèse, un véhicule nous autorisant à nous déplacer dans un monde de fantasmes et de désirs, qui sans elle, nous serait peut-être resté fermé.
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