Au lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo et de la Porte de Vincennes et ses 17 victimes, au lendemain de la marche historique du 11 Janvier qui aura vu un pays tout entier se lever comme jamais depuis des décennies, la question de la portée de ces événements se pose désormais. Que préfigurent de tels actes dans l’inconscient collectif et quel impact peuvent-ils générer dans notre regard sur notre société ? Vaste question qui m’amène à une réflexion toute personnelle…
Nous sommes Charlie…et bien d’autres encore
La date du 7 Janvier 2015 restera gravée à jamais dans l’Histoire de France. Une date qui a vu symboliquement une des valeurs immuables de notre République attaquée en son cœur, sans la moindre pitié et avec un sang froid à nous glacer les veines. Une grande partie de la rédaction de Charlie Hebdo, ainsi que deux policiers et un agent d’entretien, sont tombés sous les balles de deux frères perdus dans l’univers impitoyable d’une cause les dépassant, et pour laquelle la liberté d’expression relève du péché mortel. Parce qu’ils dessinaient, s’exprimaient et écrivaient selon leurs convictions pour les uns, portaient un uniforme pour les autres ou se trouvait là au mauvais endroit au mauvais moment pour le dernier. Le 8 Janvier, un agent de police tombe sous les balles d’un jeune homme happé par cette même cause, et parce qu’elle portait un uniforme. Le 9-Janvier, ce même jeune homme frappait à nouveau Porte de Vincennes en visant cette fois quatre personnes de confession juive. Une tuerie qui aura fait 17 victimes au total et qui nous laisse frappé d’effroi face au premier sentiment qui nous vient : irréel.
Dès lors, la France toute entière s’est levée, sous l’étendard « Je Suis Charlie». Elle s’est levée d’admiration pour ses victimes, d’horreur pour la cruauté de tels actes, de colère pour l’injustice que suscitent de tels assassinats, de tristesse pour ses morts. Elle s’est levée car touchée en plein cœur sur ce qui fait sa plus grande force : la liberté. Et en l’occurrence la liberté d’expression. Car la France s’est alors souvenue du sang versé et des batailles qu’elle a dû mener tout au long de son histoire pour parvenir à en faire un principe immuable et garant de notre République.
Pour ma part, j’ai été fier de participer et d’assister à cet élan historique qui constitue un message inaltérable et indélébile adressé à l’ignorance, à l’obscurantisme et à l’intolérance.
Que l’on soit abonné, amateur, fan, que l’on apprécie, que l’on soit lecteur occasionnel, ou au contraire, que l’on ne connaisse pas, ou que l’on n’aime ni ne cautionne Charlie Hebdo, être Charlie c’est simplement s’élever contre toute atteinte à nos libertés encadrées par la loi républicaine. En particulier celle qui consiste à s’exprimer.
Car c’est ce que signifie être Charlie. Il ne s’agit pas de tomber dans des débats particulièrement creux qui consistent à se demander si être Charlie, c’est adhérer à Charlie Hebdo, ou être compatissant ou sympathisant ou se découvrir tout d’un coup une proximité avec Charlie Hebdo… Rien de tout cela. Que l’on soit abonné, amateur, fan, que l’on apprécie, que l’on soit lecteur occasionnel, ou au contraire, que l’on ne connaisse pas, ou que l’on n’aime ni ne cautionne Charlie Hebdo, être Charlie c’est simplement s’élever contre toute atteinte à nos libertés encadrées par la loi républicaine. Et en particulier celle qui consiste à s’exprimer. Et c’est quelque part ce que Charlie Hebdo incarnait, à tort ou à raison peu importe. Leur arme : un simple crayon. Et nous ne pouvons accepter qu’une arme de guerre abatte un crayon quels que soient les prétextes.
Ni en France et ni même ailleurs.
Car n’oublions pas que nous ne sommes pas les seuls touchés. D’où la nécessité de résister en donnant une large portée à nos actes, à nos manifestations. L’atteinte au crayon est planétaire, l’obscurantisme est planétaire, Charlie Hebdo aimait à les dénoncer, nous devons les dénoncer.
Ceux qui nous ont frappé si durement en ce début d’année 2015 sont les mêmes que ceux qui ont massacré il y a un mois 132 élèves dans un collège public de Peshawar au Pakistan. 132 enfants sur le carreau, l’abjection absolue.
Les mêmes également qui viennent en ce début d’année de balayer près de 2000 personnes en 2 jours au nord du Nigéria. 2000 personnes vous vous rendez compte ? Tombées également au nom de l’obscurantisme. Et j’en passe…
J’ai une immense pensée pour nos 17 victimes.
J’ai une immense pensée pour toutes les victimes de ces forces obscures dans le monde.
Nous sommes Charlie…et bien d’autres encore.
La marche du 11-Janvier, le peuple et…les autres.
Car la grande force de cette marche est bien son initiative populaire et son caractère apolitique. Une fois de plus, démonstration est faite de la toute puissance de l’élan populaire qui peut tout aussi bien marcher dans la rue, s’élever comme il l’a fait ce 11-Janvier et renverser des régimes autoritaires comme nous avons pu l’observer ces dernières années dans certains (pays. Rien ne peut s’opposer à l’essence même de l’inconscient collectif, cette force incroyable qui dépasse la quasi totalité des forces politiques au pouvoir, croyant souvent que cet inconscient collectif se mue en indifférence générale. Alors qu’il est le point de départ de la prise de conscience et de la formidable réaction populaire qui s’engage. Là où se concentre la réalité du pouvoir.
Un élan que cette brochette de chefs d’état et de gouvernement venus du monde entier a tenté de s’approprier en marchant symboliquement dans la rue. Histoire de voir peut-être ce que cela fait d’être à notre place durant quelques minutes. Une marche en hommage aux victimes de l’obscurantisme. Une marche pour la paix et la tolérance. Une marche au nom de la Liberté d’Expression. Une marche qui réaffirme les valeurs unes et indivisibles de la République. Une marche dans laquelle se mêlent solidarité et hypocrisie. Une marche où a pris place sans aucun état d’âme Benyamin Netanyahou, faucon israélien et homme de paix bien évidemment reconnu. Qui ne doit sa présence qu’à des enjeux électoraux, puisque ses ministres Avigdor Lieberman et Naftali Bennet|, qui conduisent tous deux des listes de droite concurrentes à la sienne en vue des législatives, étaient présents. En réponse, François Hollande, peu favorable à la venue de Netanyahou, a donc pris le parti d’inviter Mahmoud Abbas juste pour l’emmerder…
Une marche où a pris également place Ahmet Davutoglu, Premier Ministre turc, à la tête d’un gouvernement qui a récemment déclaré que la maternité était la seule «carrière» possible pour une femme. Gouvernement qui a ordonné dès le lendemain de la Marche la censure de tous les médias diffusant la Une de Charlie Hebdo et de ceux dénonçant la vente d’armes par la Turquie aux rebelles syriens (et donc par extension au Front Al-Nosra et Daesh). Le très controversé Viktor Orban, Premier Ministre hongrois, était également présent. Tout comme un officiel et représentant du clan Al-Thani du Qatar. Emirat dont les interrogations réelles sur son rôle dans le financement du terrorisme reste extrêmement préoccupantes. Et que dire de l’Arabie Saoudite, représentée par Nizar Al-Madani, le numéro deux de la diplomatie de Riyad. L’Arabie Saoudite qui vient de condamner un blogueur à 1000 coups de fouet pour avoir « insulté l’Islam ». Et qui exécute au sabre ses condamnés à mort en pleine rue. En 2015…
Je me demande si Barack Obama n’a pas bien fait de ne pas se mêler à cette immense comédie.
Bien sûr, nous pourrions considérer que le geste de tous ces chefs d’Etat est fort, je parle notamment pour celles et ceux dont il n’y a rien à dire mais quelque part, c’est le sentiment d’une faute qui l’emporte.
Car ces gens là n’incarnent rien d’autre que l’échec des politiques sociales et internationales qui ont conduit à nourrir les terreaux djihadistes profitant à plein des avantages de nos régimes occidentaux et de la paupérisation dans les banlieues d’une jeunesse abandonnée qui trouve reconnaissance et existence dans l’intégrisme à défaut d’une place dans notre société. Ces mêmes jeunes qui forcément voient en une allégeance à des mouvements tels que Al-Qaeda ou Daesh un choix d’avenir, lesquels finiront par en faire des soldats affidés et une main armée vers leur pays d’origine. Qui ont conduit également à l’émancipation de tels mouvances, Al-Qaeda et Daesh n’étant ni plus ni moins que des monstres nés de l’échec total d’une politique internationale occidentale désastreuse, avec une responsabilité beaucoup plus marquante des Etats-Unis. Les jeux de financements et de soutiens hasardeux durant les conflits Afghano-soviétique et Irano-Iraquien dans les années 80 ont été précurseurs en la matière. Oussama Ben Laden et Al-Qaeda ainsi que les Talibans en sont les premiers nés. L’aberrante intervention puis occupation américaine en Iraq dès 2003 a fini de poser les bases de l’émergence de l’Etat Islamique. Sous la bienveillance occidentale.
La Russie, désormais cible potentielle va devoir réagir. La Chine, désormais 1ère puissance mondiale, va devoir prendre part au concert des Nations et y jouer un véritable rôle. L’Afrique va devoir occuper la vraie place qui est la sienne et s’affirmer comme continent fort et c’est en bonne voie. (Et les Etats-Unis, apprendre avec humilité et comprendre les cultures qui l’entourent. Car après 50 années d’échec sur le terrain, et alors que l’ignorance toujours aussi désarmante et effrayante d’un de ses plus grands médias, Fox News, explose à la face du monde en expliquant que la Charia est appliquée dans certains arrondissements de Paris, on ne peut que s’inquiéter de la capacité de ce grand pays à analyser et prendre en compte pour l’avenir les événements de ce début d’année et les problématiques géopolitiques actuelles.
La classe politique, les musulmans… et les autres
Cet événement nous rappelle ô combien que nous vivons des heures troubles dans un monde quelque peu déshumanisé par les enjeux politiques et économiques, et l’omniprésence d’Internet. Tout n’est qu’intérêt, calcul, pouvoir, intolérance. Difficile d’envisager la suite avec sérénité mais ce mouvement du 11-Janvier doit être porteur d’espoir. Nous devons faire face à deux problématiques de taille dans notre pays : le rôle de la classe politique et l’état de notre politique sociale, éducative et économique.
Rien à dire sur la gestion des attentats par François Hollande et Manuel Valls. Je ne peux que saluer cette humilité et cette humanité, accompagnées d’une certaine fermeté dans les discours, dont a fait preuve l’exécutif ces derniers jours. Vraiment. Et mis le reste de la classe politique sur la même voie. Qui a fait corps. C’est remarquable à ce point que c’est ce que l’on attendait d’eux. Mis à part le Front National bien évidemment, qui n’a pas manqué de briller comme à son habitude, Marine Le Pen ayant eu le tact de s’engouffrer sans état d’âme sur le terrain électoral, en relançant le débat sur la peine de mort, et ce deux heures à peine après la tuerie de Charlie Hebdo. Impensable, détestable, impardonnable. Et ose s’étonner qu’elle ne soit pas la bienvenue dans les défilés dont elle s’est exclue elle-même en jouant les victimes, bien que les propos de Jean-Michel Cambadélis à son égard aient été maladroits. J’espère que les français se rendront vraiment compte que non seulement elle n’incarne aucune alternative politique crédible mais bien au contraire.
Malheureusement, cette tragédie peut aussi constituer un fonds de commerce, que ce soit pour le FN mais aussi pour les adeptes des théories complotistes et autres aberrations de ce type, dont les auteurs, que je ne citerai pas, sont tout autant en quête d’existence et tout aussi perdus que les responsables de ces attentats. Des thèses tolérées au nom de notre chère liberté d’expression qui, par contre, semble ne pas s’appliquer à Dieudonné. Dieudonné décidément… Qui parvient malgré tout à s’attirer les foudres avec un talent inouï. Alors non je ne le défendrai pas. Plus ! Mais sa mise en examen pour apologie du terrorisme est grotesque. C’est une porte ouverte et dangereuse qui consisterait à mettre systématiquement en examen chaque personne dont les autorités choisiraient d’interpréter négativement les propos. Et l’on sait à quoi ces pratiques mènent…
Les attentats de Charlie Hebdo ont fait une 18ème victime : la communauté musulmane de France et par extension du monde. Car évidemment, l’amalgame est un réflexe aussi cruel que naturel. Personne ne s’empêchera d’en faire car il faut forcément une explication, un coupable. Et il est tellement aisé de la trouver chez les musulmans. Seulement, les auteurs de la tuerie ont dupé. Ils ont bafoué une religion, sali une communauté, blessé un monde et perverti l’esprit de ceux qui jugerait l’Islam responsable.
Car l’Islam n’est pas responsable. L’Islam n’a été qu’un alibi pour les terroristes. Les responsables c’est nous. Société française. La classe politique française est dans l’échec depuis près de 40 ans et la désastreuse gestion de l’immigration et l’intégration des minorités. La passerelle d’assimilation entre les cultures et les valeurs de notre République n’a jamais vraiment fonctionné. Car minimisée, bâclée et jamais repensée. Les jeunes d’aujourd’hui issus de ces communautés d’immigrés n’ont ni perspectives ni repères : certains ont la chance de réussir mais la plupart plonge. Si la religion se propose comme un refuge, l’intégrisme offre une vraie alternative : un autre mode de vie. Pervertir les textes religieux, les ériger en arme prosélyte, il n’en faut pas plus pour affider les âmes perdues. L’univers carcéral demeure le terrain de recrutement privilégié des VRP de l’Islam radical. Echec scolaire, non intégration, manque de reconnaissance et d’identification à notre société, emplois précaires, délinquance, prison, conversion, camp d’entrainement : le parcours type d’un Kouachi ou d’un Coulibaly, d’un Merah ou d’un Nemmouche.
Les jeunes d’aujourd’hui issus de ces communautés d’immigrés n’ont ni perspectives ni repères : certains ont la chance de réussir mais la plupart plonge. Si la religion se propose comme un refuge, l’intégrisme offre une vraie alternative : un autre mode de vie. Pervertir les textes religieux, les ériger en arme prosélyte, il n’en faut pas plus pour affider les âmes perdues.
Ce qui implique une remise en question profonde tant dans les politiques sociales mises en place et désormais à refonder, mais également éthique et sur la capacité qu’auront nos représentants politiques à donner l’exemple, ce qui n’est pas le cas depuis des années. La confiance est rompue. Une remise à plat de notre modèle éducatif, qui touche ses limites, est urgente. Enfin, un appel aux responsables religieux à entreprendre un travail de fond sur l’évolution de leur religion et à leur compréhension. La société évolue avec son temps, les hommes évoluent, les religions doivent aussi évoluer et s’adapter à nos sociétés. La fracture est trop grande, la religion s’appuie encore sur des pratiques et modes de pensée archaïques, en décalage total avec la société d’aujourd’hui.
La preuve en est : la religion demeure le plus grand vecteur de violence dans le monde. Pas un conflit d’envergure actuel, ou quasiment, qui n’implique le phénomène religieux.
Et la religion est censée incarner tolérance et paix…
Mener réflexion et action à leur terme serait une vraie avancée. Qui contribuerait à isoler les radicalismes qui créent des massacres d’échelle, des discriminations violentes, prônent l’intolérance et piétinent les valeurs humaines les plus élémentaires comme la condition de la Femme, soit disant au nom du Sacré.
Car rien ne doit déroger au principe immuable de la laïcité dans notre pays. C’est à la religion de s’adapter et non l’inverse.
Alors peut-être saurons nous offrir un cadre propice au désamorçage de toute velléité terroriste au sein de notre société.
C’est sans doute la voie qu’auraient souhaité nous voir prendre Charb, Cabu, Tignous, Wolinski, Honoré, Bernard Maris, Michel Renaud, Moustapha Ourrad, Elsa Cayet, Ahmed Merbat, Franck Brinsolaro, Frédéric Boisseau, Clarissa Jean-Philippe, Yoav Hattab, Yohan Cohen, Philippe Braham, François-Michel Saada.
Et tous les autres…
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