Jaguar Type-F : L’Empire Contre Attaque (seconde partie)

Comment la Jaguar Type-F entend t-elle concrètement bouleverser la donne et prendre sa place dans la hiérarchie des meilleures sportives du monde? Autour de l’interview de John Mocellin et d’une investigation à la fois conceptuelle et technique, nous soumettons la Type-F à l’insigne balance du désir, partiale et lestée de préconceptions mais néanmoins toute puissante.

Présentée sous forme de prototype, la TYPE-F définitive a été confirmée assez rapidement et occupe une place clé dans la SunTzuesque (pardon pour cette épithète, on se refait, mais c’est dur) stratégie progressivement mise à jour par Jaguar. À elle la lourde tâche de ressusciter et porter l’esprit sportif du constructeur.

En ouverture, un châssis tout aluminium coupé à une plateforme associant légèreté et rigidité notamment par le recours maitrisé à la technique du riveté-collé : la Type-F n’a pas laissé de côté l’impératif de légèreté tardivement redécouvert par les grandes maisons à la faveur d’une double crise énergétique et écologique. Sous les 1600 kg en version V6 d’entrée de gamme et limitant la surcharge pondérale à un quintal lorsqu’elle embarque le gros V8 compressé, le coupé peut garder la tête haute en matière d’embonpoint.

Ce qui est bien cette fois, c’est que les spécificités techniques de l’auto mènent quelque part : il y a bel et bien une idée dans cette voiture ou plutôt derrière, après tout c’est une propulsion. De fait, et dans la droite ligne de la XJ qui abandonnait récemment sa direction électrique, la type-F a recours à une direction à crémaillère : on imagine qu’ici, c’est la retransmission du toucher de route qui a guidé Jaguar dans une décision pas si facile à l’heure où la 911 herself en passe par une direction électromécanique (par opposition à électro-hydraulique traditionnelle). Vu l’élargissement que nous espérons de notre audience, il va de soi que j’ai égaré certain d’entre vous avec tous ces termes techniques. Je vais donc tenter de vous expliquer pourquoi c’est intéressant…sisi !! Si vous avez une vague attirance pour l’automobile, il vous est arrivé au moins ponctuellement de vous mettre au volant d’une « sportive ». Que se passe t-il de différent ? Hormis un déferlement de puissance inhabituelle et un sentiment d’adhérence incroyable, c’est presque toujours la sensation de recevoir beaucoup plus d’informations qui est frappante. Or la « direction », qui joue un rôle essentiel dans cette communication, a souffert tout au long des récentes décennies d’un diktat du confort avec pour épilogue une systématisation des directions assistées. Moins d’efforts pour tourner le volant et des irrégularités gommées ont gagné la faveur des automobilistes sans que l’on s’appesantisse davantage sur cette sauvage amputation à la sportivité.

 

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Le progrès aidant, l’assistance a su se faire oublier au point de ne plus exiger de contrepartie. Ferrari est un orfèvre en la matière, y compris sur ses véhicules les moins radicaux, tels que la 599GTB, la 612 et la FF et offre un équilibre exquis entre confort et finesse de restitution de la route. N’écoutez pas les blasés et les jaloux qui vous rebattront les oreilles sur la superficialité de ces voitures : c’est faux ! Elles honorent leur blason et la passion que nous leur dédions. La complexité de l’expérience distillée procède d’un amour pathologique pour la perfection de l’objet et d’une obsession maniaque de l’excellence… Mais je digresse, un autre artiste se fait remarquer depuis longtemps, c’est Porsche, Porsche qui a justement, et avec l’avènement de la 991 (la 7ème génération de la 911) franchit le pas d’une direction électromécanique théoriquement très supérieure puisque plus précise, indépendante du moteur, et n’exigeant d’énergie que lors des changements de direction, mais qui peine dans la réalité à faire oublier la finesse de retranscription à laquelle était parvenue la 997.

Vous l’aurez finalement compris, derrière les acronymes opulents se joue parfois une lutte pour l’authenticité, et ici, une fois n’est pas coutume, Jaguar laisse le marketing de côté pour tenter de retrouver l’essence de la sportivité. La Type-F a pris son parti de restaurer une intimité physique avec son pilote sans renier une vision de l’idylle automobile exigeant raffinement et confort. Que voilà un art délicat : bien loin du « compromis » auquel on serait tenté de le résumer, il exige tout au contraire une lucidité à laquelle l’époque n’incline pas. Un art comprimé à l’extrême dans 3 chiffres légendaires, 911, qui en incarnent l’essence depuis cinq décennies, mais un art hautement technique puisque même l’allemande a parfois échoué à l’exercer avec autant de bonheur qu’espéré. La récente phase 2 de la 997 Turbo, il est vrai poussée à la faute par la Nissan GT-R, a été regardée par beaucoup comme un faux pas dans une lignée pourtant immaculée. Extrêmement performante, mais inégale, ferme à la folie et moins communicative, elle oubliait sa géniale partition pour aller en découdre avec un monstre Japonais né pour tuer… Erreur.

L’un après l’autre, Jaguar efface les pièges avec habileté en n’axant pas sa communication sur des chronos ou des chiffres, mais sur le fond, sur la cohérence de l’intention et le travail accompli. C’est bigrement bien vu, et c’est un oracle crédible à l’heure où le marché doit voir plus loin que l’inflation des chevaux. La Type-F est donc d’ores et déjà, ne serait-ce qu’en regard des enjeux, une nouveauté à considérer avec attention.

 

“Nous avons pu discuter avec l’un des pilotes démonstrateurs de la TYPE-F : John Mocellin. Surprise, l’échange loin de nous confiner dans une litanie de spécifications techniques aura permis de capturer l’enthousiasme d’un des rares à l’avoir déjà conduite dans une grande variété de conditions”

A l’occasion du dévoilement officiel de la voiture au cours d’une série d’événements exclusifs et confidentiels dédiés aux clients Jaguar et à de potentiels acheteurs, nous avons pu discuter avec l’un des pilotes démonstrateurs de la TYPE-F : John Mocellin. Surprise, l’échange loin de nous confiner dans une litanie de spécifications techniques aura permis de capturer l’enthousiasme d’un des rares à l’avoir déjà conduite dans une grande variété de conditions… On ne s’attendait certes pas à voir un professionnel de la marque critiquer la Type-F ou laissait planer le moindre doute sur sa capacité à éclipser la fine fleur des Sportives, mais on sent ici une confiance qui donne envie d’en savoir plus.

Honnêtement, je n’attendais pas la Type-F avec le regard béat de l’amoureux transi, loin s’en faut. La reculade de Jaguar en 2000 après la présentation du prototype Type-F justement avait rincé les espoirs, et le loupé du Projet de Supercar électrique hybride C-X75 en 2011 avait fini d’enfoncer le clou des retraits sommaires : bref, à force de se languir on en venait presque à vouloir bouder la petite dernière pour venger les lapins à répétition. Or la vérité toute nue s’impose dès que la Type-F « in the Flesh » entre dans votre champ de vision : compacte, singulière, dense, elle semble avoir toujours existé. Ce n’est pas comparable à d’autre automobile d’une beauté choquante, un peu comme pouvait l’être une F430 à Paris en 2004, mais elle détonne positivement dans le déluge de Supersportives dont l’industrie accouche de façon continue…

Le sujet mériterait que l’on s’y penche et on peut se prendre à regretter l’époque des ciels limpides traversés d’étoiles prodigieuses aux règnes sans partage… Désormais et depuis plus d’une décennie, l’expansion paisible a laissé place à une inflation considérable démultipliant les spécimens d’une espèce nécessairement exclusive. Le résultat : une lutte simultanée pour la survie et la suprématie aiguisant la cruauté et gâtant l’enthousiasme des amateurs les plus ardents. La surdose des 0-100 sous les 5 s et les 320,330 et 340 promis « ad nauseam » anesthésient l’esprit critique et étranglent le désir. Pourtant, la passion survit et pas là où on pourrait l’attendre. En 2011, la 1M de BMW faisait parler la poudre avec une recette de plaisir instantanée et d’outrance assumée dans un format pocket vraiment irrésistible, et proposait une expérience plus satisfaisante que des voitures 10 fois plus chères.. Le même coup pendable qu’avait fait la Mégane R-26 R (une version très très vitaminée et de la Mégane RS ancienne génération) en reléguant notamment l’Alfa Romeo 8C competizione, l’Aston Martin Vantage 4.7 et la Maserati GranTurismo S trois ans plus tôt.

On pouvait craindre et tout en même temps espérer que la Type-F proposerait de façon habituelle chez Jaguar de la puissance en pagaille et une personnalité attachante, quoique un peu balourde… Ce n’est pas méchant, mais la confrontation mise en scène l’année dernière par Top Gear et mettant aux prises la XKR-S et la Nissan GT-R illustrait assez bien le piège déjà évoqué avec la 997 Turbo Phase 2. Clarkson donnait le coup de grâce : « La XKR-S est incroyablement rapide…Pour une Jaguar… Alors que la GT-R est Incroyablement rapide. Tout court. » La situation installée depuis plusieurs années n’avait pas que du mauvais et une légion d’observateurs et d’utilisateurs ont pu craqué pour le charme rugueux de la XF-R, autrement plus sensible et « organique » que ses cousines germaines. N’allons pas plus loin, la Type-F n’est pas le nouveau bon coup à pas cher… Cette fois, la ligne ravageuse et le regard sensuel du gros Chaton ne pourront s’apprécier à l’aune seule d’un tarif plus amical que celui des camarades. À 72000€ les 340ch de la Type-F V6, le ticket d’entrée économisera le physio à la porte des concessions, mais le message est clair : Jaguar ne revient pas sur la scène des sportives pour proposer des alternatives « sympas » au Boxster ou se mesurer à un 370z. C’est bien la 991 qui est dans la ligne de mire, et si l’affaire paraît de facto mal engagée lorsqu’il est question de l’indéboulonnable reine mère, la recette de Jaguar est beaucoup plus subtile qu’il y paraît. Le consommé d’exotisme, de cuir précieux, d’agressivité maîtrisée, le tout à ciel ouvert (de série) et la promesse d’un feeling authentique (pas encore) pourraient venir créer la surprise.

 

“le message est clair : Jaguar ne revient pas sur la scène des sportives pour proposer des alternatives « sympas » au Boxster ou se mesurer à un 370z. C’est bien la 991 qui est dans la ligne de mire,”

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Si l’on ne pourra aujourd’hui se prononcer sur la type-F, au moins le spectacle physique de la voiture homologue t-il un essai transformé du point de vue l’émotion visuelle. Les audiophiles et les mélomanes vont également se réconcilier à proximité de la double- sorties de la V6-S (voir l’enregistrement plus bas du modèle exposé lors de la présentation). L’échappement sport actif disponible sur ce modèle seulement (V6-S) va bien plus loin que les captures sonores officielles que vous pourrez trouver sur le site de Jaguar et délivre une musique enivrante. Jaguar ne s’est pas arrêté en si bon chemin et innove avec un dispositif acoustique exclusif au V8 encore plus sophistiqué et directement modulable par le conducteur.

Après ce moment passé avec la Type-F et l’un de ses prophètes, on a toutes les raisons d’être confiant et impatient, tout en mesurant le chemin qui reste à parcourir.
La Type-F se confrontera bientôt aux fines lames des pilotes et journalistes et nous saurons alors si sa belle gueule et sa longue formation dans l’arène du Ring étaient ou non le prélude à une sportive d’exception.

Une chose en revanche est certaine, et taxez moi de flagornerie si le cœur vous en dit, mais si la Type-F n’est pas encore physiquement dans les concessions et n’a pas encore remporté de victoires, les cerveaux qui œuvrent à sa montée en puissance se sont appuyées sur des troupes totalement galvanisées. Concessionnaires et démonstrateurs qui sont généralement l’écho imparfait d’une mauvaise marinade de chiffres et de superlatifs sont ici au diapason des ambitions de la Type-F. Leur passion est réelle, leur conviction trempée, raisonnée et troublante. Ne reste plus qu’à espérer que la cause vaut ses légions.

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