Zero Dark Thirty, voyage en terrain miné.

Kathryn Bigelow, oscarisée pour Démineurs en 2009, continue sa quête de la « Realpolitik-fiction » en portant à l’écran de façon explosive la longue traque d’Oussama Ben Laden ainsi que l’opération commando spectaculaire qui y mit un terme. Comment vous dire…

2 mai 2011, 1h30 du matin. Oussama Ben Laden, chef spirituel et incontesté d’Al-Qaïda, et ennemi public mondial n°1, tombe sous les balles d’un commando de SEAL (US Navy) dans sa résidence fortifiée d’Abbottabad au Pakistan. C’est la fin d’une traque aussi interminable qu’énigmatique, qui aura duré près de 18 ans et mobilisé cinq administrations américaines et trois Présidents.

Vaste et passionnant sujet dont on imagine l’extrême complexité à porter à l’écran. Visiblement, rien ne fait peur à Kathryn Bigelow, qui s’était déjà testée avec Démineurs, film se déroulant durant l’occupation américaine en Iraq. Pour Zéro Dark Thirty, elle n’a pas perdu de temps : à peine 18 mois se sont écoulés entre la sortie du film et la mort de son protagoniste. Et voilà que je bloque. Je ne le sens pas. J’y flaire une sorte de recherche du sensationnel et de la primeur. Développons tout de même.

Bigelow a choisi de traiter la partie prenant source au 11-Septembre pour s’achever à l’Opération finale du 2-Mai. Soit les 10 dernières années de traque, et surtout les plus médiatisées.

La première séquence est symptomatique et quelque peu annonciateur de la suite : un écran noir, des enregistrements sonores d’appels téléphoniques d’hommes et de femmes prisonniers des deux tours du WTC en feu, d’où s’échappent leurs dernières paroles avant une mort certaine. Mais voilà, pour une fois, cela ne m’a pas ému. J’y ai vu les prémices d’un film à la fibre patriotique, qui prendrait la forme d’une vengeance de la Nation. La deuxième séquence est limite caricaturale : une scène de torture grandeur nature et façon CIA, d’environ 25 minutes. Le temps est long, l’émotion peu palpable et le prétexte bien trop facile. L’idée étant finalement que nous nous élevions contre ce type de pratique qui, « Oh My God », existerait réellement ? En temps de guerre de surcroit ? Il y en a que ça choque apparemment. Pardonnez mon cynisme mais nos médias nous en servent tous les jours aux infos. Bref, aucune émotion, vraiment. Une mise en scène approximative. Une caméra hésitante. On ressent un travail baclé. Et surtout un ennui profond. Seule la performance de l’acteur français Reda Kateb, vu dans Un Prophète, donne un peu de consistance au personnage d’Ammar, érigé en symbole des traitements « spéciaux » qui ont fait la gloire de Guantanamo, de Bagram et d’Abou Ghraïb.

[one_half]Seule la performance de l’acteur français Reda Kateb, vu dans Un Prophète, donne un peu de consistance au personnage d’Ammar, érigé en symbole des traitements « spéciaux » qui ont fait la gloire de Guantanamo, de Bagram et d’Abou Ghraïb.[/one_half][one_half_last]

[/one_half_last]J’ai fini par comprendre quel serait le cheminement du film : une chronologie des événements respectée à la lettre, illustrée par un découpage en plusieurs parties portant nom d’une thématique en guise fil conducteur. Au centre, un personnage récurrent : Maya, une enquêtrice de la CIA, à l’allure frêle et fragile, faisant contraste avec l’environnement hostile des villes pakistanaises et des camps afghans, mais qui va se révéler imperturbable et obsédée par  la traque de Ben Laden. L’obsession révèle parfois bien des choses, étouffe la peur, et parfois déjoue la mort, ce qui en fait la « tueuse » parfaite. Autour d’elle gravite un certain nombre de personnages qui apparaissent puis disparaissent puis réapparaissent une heure après et ainsi de suite.

Ce ballet intempestif finit par poser le problème de la crédibilité des personnages. En résumé, ils sont creux, peu étudiés, peu développés, et même celui de Maya finit par tomber dans le piège du stéréotype robotisé. A force d’être baladé dans cet ensemble incohérent, je finis par rendre les armes et à espérer une fin rapide.

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Pourtant les messages sont légions à commencer par la gestion des priorités en terme de sécurité où on y apprend qu’à un moment la traque de Ben Laden n’en était plus une, la lourdeur de la bureaucratie et cet insupportable contrôle du contexte géopolitique local depuis…un bureau à Washington, ce mépris pour les agents de terrain et l’ignorance persistante des cultures locales. Autant de messages qui ne masquent malheureusement pas une certaine pauvreté dans le traitement d’un sujet peut-être trop vaste ou du moins très mal maitrisé. Ils interviennent en vrac ça et là et on sent que certaines scènes ont du être déplacées car interchangeables, révélateur d’une certaine confusion.

Une confusion très clairement caractérisée par le langage utilisé et parfois trop « technique » pour le spectateur lambda : ainsi, sans même que cela soit notifié à l’écran, certaines figures d’Al-Qaida se font appeler dès le début par leurs initiales. Allez deviner que KCM désigne Khalid Cheikh Mohammed, le cerveau auto-revendiqué des attentats du 11-Septembre, ou que OBL est (forcément) Oussama Ben Laden. Sans parler de l’ISI, les services secrets pakistanais. Des exemples parmi d’autres qui m’amènent à la conclusion suivante : étant passionné de géopolitique, je ne peux donc qu’aimer ce type de film. Cependant, il n’est pas possible d’en faire un catalogue chronologique, même bien documenté, sans y apporter une signalétique et un sens. Quel est le but de ce film ? Il est clairement inintelligible.

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C’est la raison pour laquelle je disais flairer la recherche du sensationnel et de la primeur : frapper un grand coup en s’appropriant un tel sujet et un tel événement. Et surtout être le premier. Mais voilà, la précipitation n’a jamais été l’alliée des artistes.Et de 2h45 de film, il ne reste finalement pas grand chose.


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